THANIA PETERSEN MÉMOIRE D'UNE REINE
October 1, 2016 - Jeanne Mercier
Depuis un an, les oeuvres photographiques, installations et
performances de Thania Petersen ont beaucoup fait parler
d’elles. Il faut dire que son travail aborde des problématiques
actuelles souvent traitées trop rapidement par les médias
internationaux. Une quête qui prend sa source dans
son identité complexe et composite : Thania Petersen appartient à la
communauté malaise du Cap, un groupe ethnique sud-africain descendant
d’esclaves et de déportés politiques originaires de Malaisie et d’Indonésie,
amenés en Afrique du Sud par les Hollandais à partir de 1667. La question
du patrimoine constitue le fil rouge de son travail photo et vidéo, où elle
explore l’histoire de sa communauté et son combat pour revendiquer une
identité propre. Rejetant l’appellation de « mulâtre », commune en Afrique du
Sud, Thania Petersen revendique l’idée que l’individu peut reconquérir son
patrimoine culturel, historique et spirituel.
La série I Am Royal, qui l’a fait connaître du grand public (elle fait aujourd’hui
partie de la collection de la South Africa National Gallery), évoque cet
héritage. Thania Petersen s’y met en scène en extérieur, posant telle une reine
dans des costumes indonésiens apportés en Afrique du Sud lors de la traite
des esclaves, qu’elle est allée chercher à l’ambassade d’Indonésie. Une série
où elle part sur les traces de son ancêtre, Tuan Guru, prince de Tidore dans les
îles Trinate (Indonésie) et descendant du sultan du Maroc. En 1780, il avait
été exilé et emprisonné sur l’île de Robben par les colons hollandais pour
des raisons politiques. Connu pour avoir retranscrit de mémoire plusieurs
exemplaires du Coran en prison, il est devenu l’imam Abdullah Ibn Qadhu
Abdus Salaam, aujourd’hui considéré comme le père de l’islam en Afrique du
Sud. Si Thania Petersen évoque cet ancêtre, c’est pour contredire l’histoire
enseignée à l’école : les peuples déportés en Afrique du Sud n’étaient pas que
des esclaves mais aussi des exilés politiques. Faisant corps avec son travail,
elle restaure l’héritage de son peuple et sa fierté. Les lieux dans lesquels elle
pose retracent le parcours de ces exilés : la porte par laquelle les bateaux sont
arrivés (Cape Coast) ou encore l’endroit où les Malais du Cap ont construit
une communauté loin de leur patrie (Bo-Kaap). C’est ici que son aïeul avait
ouvert la première école et la mosquée pour toutes les ethnies d’Afrique du
Sud. Aujourd’hui, c’est une prospère communauté « mixte » qui a contribué
de manière significative à la culture sud-africaine.
IMPÉRIALISME BOTANIQUE
Dans la série Botanical imperialism, c’est évidemment de la colonisation que
parle l’artiste, non seulement celle des hommes mais aussi de la nature, des
plantes, des animaux. Elle dénonce la destruction d’écosystèmes entiers par
l’introduction de végétation exotique pour les besoins de l’agriculture et du
capitalisme. Queen Colonaaiers and her Weapons of Mass Destruction est l’une
des images les plus marquantes de ce corpus. Thania Petersen commente :
« Queen Colonaaiers est la personnification du pouvoir impérial qui entre dans les
terres autochtones et aspire tout le bien pour son propre bénéfice, au profit de son
royaume. Elle est littéralement assise sur une montagne d’arbres pourris qui ont été
plantés le long des vignobles du Cap il y a des siècles pour assécher la terre et la rendre
propice à l’agriculture. Aujourd’hui, ces arbres ont causé tant de perturbations
dans l’ordre naturel que les pénuries d’eau sont un problème grave, les insectes et les
animaux ont disparu de la région et les peuples autochtones et leurs patrimoines ont
été complètement effacés du paysage. Cependant Queen Colonaaiers reste en pleine
gloire, assise sur son trône construit à partir de la destruction de la terre et du travail
des autres. »
On retrouvera le travail de Thania Petersen lors de la foire AKAA (Also known
as Africa) à Paris en novembre prochain. Un solo show est également prévu à la
galerie Everard Read au Cap en février 2017. Elle y présentera entre autres la
série Avarana où elle questionne le rapport complexe de nos sociétés au hijab.
http://staging.everard-read-capetown.co.za/inc/scripts/file.php?file_id=14755
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